Je n’avais aucune idée de ce qui émergerait de cette création lorsque j’ai commencé à en tracer les contours. J’ai simplement laissé les couleurs surgir, se rencontrer, se contredire parfois, et le mouvement s’est développé naturellement. Le cuivre, l’ocre et l’orangé ont pris racine, étendant leur force comme une terre brûlante. Puis le turquoise est apparu, vibrant et inattendu. On aurait dit une source d’eau fraîche au milieu des flammes ou un ruisseau se faufilant entre les pierres.
Je ne savais pas à quoi cela ressemblerait, et c’est ce qui me plaît : l’inconnu qui se dessine sous mes mains. Dans mes romans, je cherche à établir un ordre et une cohérence. Je travaille toujours avec un plan. Ici, je me laisse aller à l’exploration sans carte ni boussole, m’abandonnant à la force créatrice elle-même.
Ces délicates lignes blanches ont émergé, semblables à des filets de lumière. Chaque rainure semble tracer un sentier mystérieux qui mène à ce qui palpite en nous. Nous portons, nous aussi, nos propres lignes. Nous sommes faits de strates et de mémoires, de blessures et de joies infinies. Ce qui nous compose s’inscrit autant dans la mémoire que sur le corps. Comme des rides, des cicatrices, ou de fines marques presque invisibles, chaque expérience dépose son empreinte.
Peindre de cette manière, c’est accepter de ne pas savoir. C’est avancer à tâtons jusqu’à ce qu’un passage s’illumine. L’abstrait m’offre cette liberté qu’aucun plan n’autorise : découvrir, au détour d’un geste, une beauté qui me dépasse et me révèle. J’aime me laisser étonner par ce qui voulait naître, et l’accueillir comme une révélation. Dans ce jaillissement imprévu, je retrouve la joie simple de créer, libre et vivante.

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