Sophie-Luce Morin

Écrivaine

Mono no aware ou la fidélité à l’instant

14 Oct 2025 | Nature, Réflexion

Partagez

Au Japon, les cerisiers rap­pel­lent chaque print­emps que la beauté est insé­para­ble de son car­ac­tère éphémère, comme si la fragilité des choses révélait leur éclat véri­ta­ble. La beauté ne serait donc pas ce qui dure, mais ce qui passe lente­ment sous nos yeux avant de dis­paraître. « Le plus pré­cieux de la vie, c’est son incer­ti­tude » dis­ait d’ailleurs le moine Kenkō.

Ici, chaque automne, les feuil­lus fleuris­sent à leur manière. Pen­dant quelques semaines à peine, ils s’enflamment de rouge, d’or et d’ocre, avant de laiss­er tomber leurs feuilles, emportées au gré du vent. La lumière devient plus douce, les journées plus cour­tes. On sent venir la fin, et c’est juste­ment ce qui rend tout si pré­cieux.

Les Japon­ais ont un mot pour cela : mono no aware. C’est un mot qui n’a pas encore été traduit, et qui désigne cette émo­tion sub­tile : la beauté poignante de ce qui passe. Rien de triste, pour­tant, dans cette espèce de mort, qui serait plutôt une forme d’éveil. Car recon­naître la fragilité du monde, c’est aus­si s’en émer­veiller plus pleine­ment.

En français, nous par­lons de nos­tal­gie, de mélan­col­ie, de tristesse ou de douceur triste. Mais aucun de ces mots n’exprime cette ten­dresse lucide devant ce qui s’en va.

Les Japon­ais célèbrent la chute des fleurs comme nous devri­ons peut-être célébr­er celle des feuilles : non pas comme une perte, mais comme le cycle naturel du monde qui recom­mence. Peut-être que mono no aware, c’est aus­si cela : la fidél­ité à l’instant, avant qu’il ne s’efface.

C’est ain­si qu’à chaque automne, au bord du lac, le mono no aware revient m’habiter.

0 commentaires

Soumettre un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *