Au Japon, les cerisiers rappellent chaque printemps que la beauté est inséparable de son caractère éphémère, comme si la fragilité des choses révélait leur éclat véritable. La beauté ne serait donc pas ce qui dure, mais ce qui passe lentement sous nos yeux avant de disparaître. « Le plus précieux de la vie, c’est son incertitude » disait d’ailleurs le moine Kenkō.
Ici, chaque automne, les feuillus fleurissent à leur manière. Pendant quelques semaines à peine, ils s’enflamment de rouge, d’or et d’ocre, avant de laisser tomber leurs feuilles, emportées au gré du vent. La lumière devient plus douce, les journées plus courtes. On sent venir la fin, et c’est justement ce qui rend tout si précieux.
Les Japonais ont un mot pour cela : mono no aware. C’est un mot qui n’a pas encore été traduit, et qui désigne cette émotion subtile : la beauté poignante de ce qui passe. Rien de triste, pourtant, dans cette espèce de mort, qui serait plutôt une forme d’éveil. Car reconnaître la fragilité du monde, c’est aussi s’en émerveiller plus pleinement.
En français, nous parlons de nostalgie, de mélancolie, de tristesse ou de douceur triste. Mais aucun de ces mots n’exprime cette tendresse lucide devant ce qui s’en va.
Les Japonais célèbrent la chute des fleurs comme nous devrions peut-être célébrer celle des feuilles : non pas comme une perte, mais comme le cycle naturel du monde qui recommence. Peut-être que mono no aware, c’est aussi cela : la fidélité à l’instant, avant qu’il ne s’efface.
C’est ainsi qu’à chaque automne, au bord du lac, le mono no aware revient m’habiter.

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